Un sujet abordé dans Au nom des pères (p. 107…)
Entretien publié par le quotidien suisse Le Temps, le 25 janvier 2017
Entretien publié par le quotidien suisse Le Temps, le 25 janvier 2017
Le Temps: A quand remonte
l’identification du SAP et à qui doit-on cette terminologie?
Jean-Pierre Cambefort: C’est le
psychiatre et psychologue américain Richard Gardner qui a détecté
ce syndrome dans les années nonante et l’a établi. Depuis, des
pays européens comme le Danemark, la Belgique et l’Allemagne l’ont
aussi homologué. Mais, pour des raisons de sacralisation maternelle,
le sud de l’Europe est plus réticent à le reconnaître comme une
pathologie. Or les dégâts sont impressionnants, que ce soit chez le
parent cible ou chez les enfants.
– Quelles sont les attaques
classiques d’un parent aliénant?
– Le parent aliénant ne cesse de
tenir des propos dégradants sur l’autre parent, devant l’enfant.
C’est la mort symbolique et affective qui est visée en premier.
Ensuite, il agit sur tous les plans pratiques possibles. Les temps de
gardes, les vacances, les activités extrascolaires, les fêtes
d’anniversaire et de Noël, le lien avec les amis et la famille
élargie, etc., tout est sujet d’entrave et/ou de conflit.
Enfin, sur le plan juridique, il guette ou crée la moindre
occasion d’accusation. Pension alimentaire soi-disant impayée,
maltraitance imaginaire, voire même abus sexuels… là aussi,
aucune occasion n’est manquée pour frapper et déstabiliser
l’autre parent. On peut penser que j’exagère, mais le journal de
bord du patient que j’ai suivi et que je nomme Jean-Paul dans le
livre, montre sans ambiguïté l’assiduité de l’assaut.
– D’où vient une telle
obstination?
– D’un trouble psychique profond.
Le parent aliénant est clivé. Souvent très adapté et performant
socialement, mais atteint d’un grave sentiment d’abandon,
intimement. Même si c’est lui qui a quitté son ex-conjoint, il
est inconsciemment dépendant de son approbation et panique à l’idée
qu’il puisse être heureux sans lui. C’est une mise à mort dont
l’enfant est l’outil.
– Ce sont donc des personnes à
plaindre plus qu’à blâmer?
– Oui et non. Oui, car elles sont
dans le déni, donc inconscientes de la souffrance qu’elles
imposent, surtout à l’enfant. Mais non, car elles font de tels
dégâts qu’il appartient au système judiciaire de les assigner à
un suivi thérapeutique sans tergiverser.
– Quelles sont les conséquences sur
le parent aliéné?
– Elles sont graves. Et peuvent aller
jusqu’à la tentative de suicide. Tout dépend des ressources
propres du parent cible qui vit en état de guerre permanent et
devient fantôme de sa propre vie. L’image diabolique véhiculée à
son sujet agit comme une sorte de gangue qui enserre et finit par
l’étouffer. Un parent cible est souvent en dépression, perd
fréquemment le lien avec son enfant qui, par survie, prend le parti
du parent aliénant, et est rarement aidé par les institutions –
sociales, juridiques ou policières — qui soutiennent
traditionnellement la mère. Je rappelle que dans 75% des cas
d’aliénation parentale, ce sont des mères qui opèrent.
– Et sur les enfants, quel est le
poids du SAP?
– Terrible, là aussi. L’enfant est
aux prises avec un conflit de loyauté majeur, mais finit par
soutenir le parent aliénant parce que c’est avec lui qu’il vit
et c’est celui qui se victimise le plus à ses yeux. Ce soutien ne
se fait pas sans un immense sentiment, conscient ou non, de
culpabilité. Pour avoir vu beaucoup de cas en foyer, je peux vous
assurer qu’un enfant pris dans ce piège met des années à s’en
remettre, s’il s’en remet.
– Comment prévenir un SAP et/ou le
combattre, une fois qu’il est déclaré?
– De même qu’il y a des
préparations au mariage, il devrait y avoir des préparations à la
séparation pour que le parent fragile soit aidé en amont. Une fois
que le syndrome est là, la médiation n’est d’aucune utilité
puisque le parent aliénant est incapable d’introspection et n’a
aucune envie de changer. Seul un jugement pour maltraitance familiale
peut forcer ce parent dysfonctionnant à suivre une thérapie. Mais,
pour cela, il faut que l’appareil judiciaire connaisse et
reconnaisse ce syndrome.
– Une reconnaissance de plus en plus
urgente et nécessaire en raison des mutations sociales…
– Oui, la famille traditionnelle
appartient au passé. De plus en plus, les familles se recomposent,
vivent éloignées du clan (grands-parents, oncles, tantes,
cousins, etc.) et, surtout, la relation parents-enfants se
démocratise, «s’horizontalise». Ce qui est bien en termes de
communication, mais dangereux quand il y a dysfonctionnement.
L’alliance perverse qu’établit le parent aliénant avec son
enfant est une bombe à retardement.
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