mercredi 31 mai 2017

Les enfants : un objet de commerce

Sartre, l'enfant… des sujets à retrouver dans Au nom des pères
En librairie à partir du 8 juin 2017

Non, dans Les Mots, Jean-Paul Sartre ne balaye pas le père d'un revers de main. Au contraire, dans ce texte paru en 1964, le philosophe qui aborde la soixantaine avoue le poids du manque qui lui a pesé avec des mots très forts. "Un père écrit-il n'eût lesté de quelques obstinations durables, faisant de ses humeurs mes principes, de son ignorance mon savoir, de ses rancœurs mon orgueil, de ses manies ma loi. Il m'eût habité." Il n'a pas de mot assez dur, parlant des enfants, pour dénoncer les monstres "que les adultes fabriquent avec leurs regrets" ; ce qui n'a donné au philosophe ni l'envie d'en "faire" ni celle d'en "avoir".

Les enfants ne deviennent pas un enjeu au moment d'une séparation. L'enfant est à la charnière de l'humanité de l'espèce. Il est le symbole de la transmission. Il s'inscrit entre le passé et le futur. Il est le seul présent. Le couper de ses racines (biologiques et culturelles), c'est le rendre plus vulnérable, c'est le réduire à une "chose" un "objet" pour mieux en user et en abuser.

Nous aborderons bien sur dans ce livre la question du commerce des enfants et des réseaux mafieux qui en tirent profit.

La vidéo de Envoyé spécial (mars 2017)


Envoyé spécial. Avec les meilleures intentions du monde


La vidéo ci-dessous a été diffusée en février 2016. Cela se passe en Europe.


Bébés bulgares à vendre: le commerce de la... par ladepechefr
 

Bébés bulgares à vendre:
le commerce de la misère qui rapporte gros

"Iliana est partie enceinte en Grèce. Elle est rentrée en affirmant avoir perdu son bébé à la naissance". L'explication ne trompe personne dans ce ghetto rom de Bulgarie: le nouveau-né a certainement été vendu de l'autre côté de la frontière.
"Les faits sont très difficiles à prouver. Les femmes sont des victimes, mais souvent ce sont elles qui ont cherché à vendre un bébé, et elles ne coopèrent pas pour faire accuser les trafiquants", soupire Ivan Kirkov, chef du parquet de Bourgas (sud-est), préfecture au bord de la mer Noire.
Le trafic de nourrissons a pris pied dans les ghettos rom de la région il y a une quinzaine d'années, mais touche désormais d'autres provinces comme celles de Varna (nord-est), Aïtos, Karnobat, Yambol, Sliven (sud-est) ou Kazanlak (centre).
"Iliana est partie enceinte en Grèce (...) C'est le troisième bébé qu'elle vend", chuchote une femme d'Ekzarh-Antimovo, un village rongé par la misère, à 40 kilomètres de Bourgas.
Une autre habitante du même village doit être jugée pour avoir vendu un bébé en Grèce. Elle refuse de parler aux journalistes de l'AFP. "Je ne suis pas celle que vous cherchez", s'écrie cette femme replète au cheveux teints en rouge.
Sa petite maison blanche, décente, se distingue des autres, des masures décrépites où des familles nombreuses couchent à même le sol, souvent sans eau courante et sans électricité.
"Quelques 97% (des Roms) sont illettrés", explique le maire d'Ekzarh-Antimovo, Sachko Ivanov, affirmant que les ventes de bébés restent "un phénomène isolé, cantonné aux plus marginalisés". Mais "il y en a eu et il y en aura toujours car la misère est profonde", observe-t-il.

3.500 euros le bébé
Cette activité criminelle est favorisée par le cadre législatif de l'adoption en Grèce: les adoptions "privées" sur la base d'un accord, devant notaire, de la mère naturelle et des parents, y sont autorisées. Toute transaction financière est proscrite mais des délinquants, avocats, notaires, voire médecins véreux se sont engouffrés dans la brèche.
Un mécanisme précisément décrit dans une récente enquête de la chaîne de télévision bulgare Nova.
"Trois ou quatre trafiquants tiennent le marché grec", vendant "5-6 bébés par mois", y affirmait Plamen Dimitrov, un Rom de Bourgas chargé du transport des mères à Athènes, citant le cas d'une femme ayant vendu huit enfants.
Le chef de réseau empoche selon lui 12.700 euros par transaction, dont 3.500 euros destinés à la mère biologique, somme conséquente en Bulgarie où le salaire moyen est de 470 euros par mois.
Au cours des cinq dernières années, seize personnes ont été condamnées pour ce crime dans la région de Bourgas. En 2015, 27 personnes ont été inculpées pour le trafic de 31 femmes enceintes soupçonnées d'avoir vendu 33 bébés au cours des dernières années. Trois procès sont en cours.
Des peines avec sursis sont généralement prononcées, sauf en cas de récidive.
En Grèce, des réseaux sont aussi démantelés et jugés sporadiquement. En 2014, dans le centre du pays, les policiers sont intervenus au moment de l'échange d'un bébé de 21 jours contre 10.000 euros.
En 2015, le rapport du Département d'Etat américain sur le trafic d'êtres humains citait la Bulgarie comme "une des principales sources" de l'Union européenne en la matière. L'inefficacité de l'appareil judiciaire du pays et la corruption sont régulièrement critiquées dans les rapports de l'UE.

'Je ne suis pas à vendre'
A Kameno, petite ville à 15 km de Bourgas, les autorités misent également sur la prévention.
Ici, les trafiquants, "fournissent des femmes enceintes à (l'île grecque de) Crète, et leur argent vient aussi d'autres activités illicites comme le trafic de migrants", assure un policier sous couvert d'anonymat, en désignant les maisons de trafiquants présumés, surchargées d'ornements.
Résolue à "mettre fin au trafic de bébés et d'enfants à Kameno d'ici cinq ans", l'ONG Ravnovesie tente d'apprendre aux jeunes que "la vente d'une sœur ou d'un frère n'est pas une pratique normale", explique Maria Ivanova, directrice de l'école maternelle.
L'ONG a tenté de sensibiliser les mères il y a six mois mais s'est trouvée confrontée à une "vive hostilité". Alors elle s'est tournée vers les enfants et les adolescents, en leur prodiguant une leçon sur les valeurs familiales et en dotant les petits de maternelle de bracelets et insignes qui affichent un slogan simple: "Je ne suis pas à vendre".

La Dépêche du Midi (18 février 2016)

mardi 30 mai 2017

Albert Camus. La trace du manque

Comment parler du père et de la quête du père sans donner la parole à Albert Camus. Il est très présent dans l'ouvrage
Pour le prix Nobel de littérature 1957, on ne saurait avoir deux pères ni confondre son "vrai" père avec les pères spirituels. Cela ne l'a jamais empêché de toujours les honorer, que ce soit Louis Germain, son instituteur ; Jean Grenier, son professeur de philosophie ou encore l'oncle Gustave, le seul homme qui lui ait fait imaginer ce que pouvait être un père.
Le père fut le grand absent de l'œuvre de Camus. Parce que la guerre avait banalisé la mort, parce que la proximité familiale et l'organisation sociale du début du XXe siècle offraient facilement des figures paternelles de substitution, l'absence du père – Albert a perdu le sien, il n'avait pas un an – n'a pas pesé de tout son poids sur l'écrivain avant peut-être que l'auteur le devienne lui-même, à l'aube de la quarantaine.
Le père – le sien – devait être la figure centrale d'un ouvrage entrepris peu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il travailla une dizaine d'années au Premier homme sans parvenir à lui donner la forme ou le ton qu'il souhaitait ; sa mort laissera inachevé ce qui, malgré tout, reste l'un de ses textes clés.
Décryptage de ce texte majeur par Agnès Spiquel, présidente de la Société des études camusiennes








samedi 27 mai 2017

Aliénation parentale, entretien avec JP Cambefort


Un sujet abordé dans Au nom des pères (p. 107…)

Entretien publié par le quotidien suisse Le Temps, le 25 janvier 2017

Le Temps: A quand remonte l’identification du SAP et à qui doit-on cette terminologie?
Jean-Pierre Cambefort: C’est le psychiatre et psychologue américain Richard Gardner qui a détecté ce syndrome dans les années nonante et l’a établi. Depuis, des pays européens comme le Danemark, la Belgique et l’Allemagne l’ont aussi homologué. Mais, pour des raisons de sacralisation maternelle, le sud de l’Europe est plus réticent à le reconnaître comme une pathologie. Or les dégâts sont impressionnants, que ce soit chez le parent cible ou chez les enfants.


– Quelles sont les attaques classiques d’un parent aliénant?
– Le parent aliénant ne cesse de tenir des propos dégradants sur l’autre parent, devant l’enfant. C’est la mort symbolique et affective qui est visée en premier. Ensuite, il agit sur tous les plans pratiques possibles. Les temps de gardes, les vacances, les activités extrascolaires, les fêtes d’anniversaire et de Noël, le lien avec les amis et la famille élargie, etc., tout est sujet d’entrave et/ou de conflit. Enfin, sur le plan juridique, il guette ou crée la moindre occasion d’accusation. Pension alimentaire soi-disant impayée, maltraitance imaginaire, voire même abus sexuels… là aussi, aucune occasion n’est manquée pour frapper et déstabiliser l’autre parent. On peut penser que j’exagère, mais le journal de bord du patient que j’ai suivi et que je nomme Jean-Paul dans le livre, montre sans ambiguïté l’assiduité de l’assaut.

– D’où vient une telle obstination?
– D’un trouble psychique profond. Le parent aliénant est clivé. Souvent très adapté et performant socialement, mais atteint d’un grave sentiment d’abandon, intimement. Même si c’est lui qui a quitté son ex-conjoint, il est inconsciemment dépendant de son approbation et panique à l’idée qu’il puisse être heureux sans lui. C’est une mise à mort dont l’enfant est l’outil.

– Ce sont donc des personnes à plaindre plus qu’à blâmer?
– Oui et non. Oui, car elles sont dans le déni, donc inconscientes de la souffrance qu’elles imposent, surtout à l’enfant. Mais non, car elles font de tels dégâts qu’il appartient au système judiciaire de les assigner à un suivi thérapeutique sans tergiverser.

– Quelles sont les conséquences sur le parent aliéné?
– Elles sont graves. Et peuvent aller jusqu’à la tentative de suicide. Tout dépend des ressources propres du parent cible qui vit en état de guerre permanent et devient fantôme de sa propre vie. L’image diabolique véhiculée à son sujet agit comme une sorte de gangue qui enserre et finit par l’étouffer. Un parent cible est souvent en dépression, perd fréquemment le lien avec son enfant qui, par survie, prend le parti du parent aliénant, et est rarement aidé par les institutions – sociales, juridiques ou policières — qui soutiennent traditionnellement la mère. Je rappelle que dans 75% des cas d’aliénation parentale, ce sont des mères qui opèrent.

– Et sur les enfants, quel est le poids du SAP?
– Terrible, là aussi. L’enfant est aux prises avec un conflit de loyauté majeur, mais finit par soutenir le parent aliénant parce que c’est avec lui qu’il vit et c’est celui qui se victimise le plus à ses yeux. Ce soutien ne se fait pas sans un immense sentiment, conscient ou non, de culpabilité. Pour avoir vu beaucoup de cas en foyer, je peux vous assurer qu’un enfant pris dans ce piège met des années à s’en remettre, s’il s’en remet.

– Comment prévenir un SAP et/ou le combattre, une fois qu’il est déclaré?
– De même qu’il y a des préparations au mariage, il devrait y avoir des préparations à la séparation pour que le parent fragile soit aidé en amont. Une fois que le syndrome est là, la médiation n’est d’aucune utilité puisque le parent aliénant est incapable d’introspection et n’a aucune envie de changer. Seul un jugement pour maltraitance familiale peut forcer ce parent dysfonctionnant à suivre une thérapie. Mais, pour cela, il faut que l’appareil judiciaire connaisse et reconnaisse ce syndrome.

– Une reconnaissance de plus en plus urgente et nécessaire en raison des mutations sociales… 
– Oui, la famille traditionnelle appartient au passé. De plus en plus, les familles se recomposent, vivent éloignées du clan (grands-parents, oncles, tantes, cousins, etc.) et, surtout, la relation parents-enfants se démocratise, «s’horizontalise». Ce qui est bien en termes de communication, mais dangereux quand il y a dysfonctionnement. L’alliance perverse qu’établit le parent aliénant avec son enfant est une bombe à retardement.