samedi 27 mai 2017

Aliénation parentale, entretien avec JP Cambefort


Un sujet abordé dans Au nom des pères (p. 107…)

Entretien publié par le quotidien suisse Le Temps, le 25 janvier 2017

Le Temps: A quand remonte l’identification du SAP et à qui doit-on cette terminologie?
Jean-Pierre Cambefort: C’est le psychiatre et psychologue américain Richard Gardner qui a détecté ce syndrome dans les années nonante et l’a établi. Depuis, des pays européens comme le Danemark, la Belgique et l’Allemagne l’ont aussi homologué. Mais, pour des raisons de sacralisation maternelle, le sud de l’Europe est plus réticent à le reconnaître comme une pathologie. Or les dégâts sont impressionnants, que ce soit chez le parent cible ou chez les enfants.


– Quelles sont les attaques classiques d’un parent aliénant?
– Le parent aliénant ne cesse de tenir des propos dégradants sur l’autre parent, devant l’enfant. C’est la mort symbolique et affective qui est visée en premier. Ensuite, il agit sur tous les plans pratiques possibles. Les temps de gardes, les vacances, les activités extrascolaires, les fêtes d’anniversaire et de Noël, le lien avec les amis et la famille élargie, etc., tout est sujet d’entrave et/ou de conflit. Enfin, sur le plan juridique, il guette ou crée la moindre occasion d’accusation. Pension alimentaire soi-disant impayée, maltraitance imaginaire, voire même abus sexuels… là aussi, aucune occasion n’est manquée pour frapper et déstabiliser l’autre parent. On peut penser que j’exagère, mais le journal de bord du patient que j’ai suivi et que je nomme Jean-Paul dans le livre, montre sans ambiguïté l’assiduité de l’assaut.

– D’où vient une telle obstination?
– D’un trouble psychique profond. Le parent aliénant est clivé. Souvent très adapté et performant socialement, mais atteint d’un grave sentiment d’abandon, intimement. Même si c’est lui qui a quitté son ex-conjoint, il est inconsciemment dépendant de son approbation et panique à l’idée qu’il puisse être heureux sans lui. C’est une mise à mort dont l’enfant est l’outil.

– Ce sont donc des personnes à plaindre plus qu’à blâmer?
– Oui et non. Oui, car elles sont dans le déni, donc inconscientes de la souffrance qu’elles imposent, surtout à l’enfant. Mais non, car elles font de tels dégâts qu’il appartient au système judiciaire de les assigner à un suivi thérapeutique sans tergiverser.

– Quelles sont les conséquences sur le parent aliéné?
– Elles sont graves. Et peuvent aller jusqu’à la tentative de suicide. Tout dépend des ressources propres du parent cible qui vit en état de guerre permanent et devient fantôme de sa propre vie. L’image diabolique véhiculée à son sujet agit comme une sorte de gangue qui enserre et finit par l’étouffer. Un parent cible est souvent en dépression, perd fréquemment le lien avec son enfant qui, par survie, prend le parti du parent aliénant, et est rarement aidé par les institutions – sociales, juridiques ou policières — qui soutiennent traditionnellement la mère. Je rappelle que dans 75% des cas d’aliénation parentale, ce sont des mères qui opèrent.

– Et sur les enfants, quel est le poids du SAP?
– Terrible, là aussi. L’enfant est aux prises avec un conflit de loyauté majeur, mais finit par soutenir le parent aliénant parce que c’est avec lui qu’il vit et c’est celui qui se victimise le plus à ses yeux. Ce soutien ne se fait pas sans un immense sentiment, conscient ou non, de culpabilité. Pour avoir vu beaucoup de cas en foyer, je peux vous assurer qu’un enfant pris dans ce piège met des années à s’en remettre, s’il s’en remet.

– Comment prévenir un SAP et/ou le combattre, une fois qu’il est déclaré?
– De même qu’il y a des préparations au mariage, il devrait y avoir des préparations à la séparation pour que le parent fragile soit aidé en amont. Une fois que le syndrome est là, la médiation n’est d’aucune utilité puisque le parent aliénant est incapable d’introspection et n’a aucune envie de changer. Seul un jugement pour maltraitance familiale peut forcer ce parent dysfonctionnant à suivre une thérapie. Mais, pour cela, il faut que l’appareil judiciaire connaisse et reconnaisse ce syndrome.

– Une reconnaissance de plus en plus urgente et nécessaire en raison des mutations sociales… 
– Oui, la famille traditionnelle appartient au passé. De plus en plus, les familles se recomposent, vivent éloignées du clan (grands-parents, oncles, tantes, cousins, etc.) et, surtout, la relation parents-enfants se démocratise, «s’horizontalise». Ce qui est bien en termes de communication, mais dangereux quand il y a dysfonctionnement. L’alliance perverse qu’établit le parent aliénant avec son enfant est une bombe à retardement.

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